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A la poursuite de la belle rousse

Crochets à travers les aiguilles, avec Stéphane Renoux

Par Jean-Christophe Taillefer

Au cœur de la plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale, qu’est le massif landais, nous sommes partis traquer notre gibier de prédilection en compagnie de Stéphane Renoux. Celui qui est aussi le fondateur et dirigeant de Chasse-Box s’avère un redoutable bécassier, et possède, en outre, une vision bien à lui de la chasse de Scolopax rusticola.

Samedi 19 février, plus qu’une seule et unique journée, et les amateurs de mordorée raccrocheront le fusil au râtelier jusqu’aux prochains frimas d’octobre. Ils conserveront d’inoubliables souvenirs dans la tête mais aussi un brin de nostalgie de voir une campagne de plus s’achever. Pour cette ultime partie de chasse de la saison, nous avons répondu à l’invitation de Stéphane Renoux, bécassier inconditionnel qui, pour l’occasion, nous propose un petit tour du côté des Landes. Le choix de ce territoire est loin d’être le fruit du hasard, puisqu’il s’agit de l’une des nombreuses destinations que le créateur de Chasse-Box propose à son catalogue. 

C’est en début d’après-midi que nous le retrouvons aux abords de sa station balnéaire de Royan, reposoir chaque été de bon nombre de migrateurs d’un tout autre genre…Au terme de rapides salutations, il nous invite à monter à bord de son véhicule pour partager de concert les quelques heures de route qui nous conduiront du côté de Losse, là où le plateau landais s’efface pour laisser place aux côteaux du Bas-Armagnac. A l’arrière du fourgon trône fièrement Lift, le redoutable pointer anglais qui, depuis maintenant 6 ans, accompagne son maître dans toutes ses pérégrinations bécassières. Sous les roues, l’asphalte défile jusqu’à nous conduire aux abords de l’agglomération bordelaise sur les coups de 16h30. Cette heure rime avec le retour du travail d’un bon nombre des 800.000 habitants qui peuplent la métropole girondine. Sans surprise, la circulation se fait donc très dense sur le pont François Mitterrand qui enjambe la Garonne du côté de Bègles. Coincés dans les bouchons, la conversation va bon train. L’occasion nous est ainsi donnée d’en apprendre un plus sur celui que nous allons suivre le temps d’une journée.

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L’oiseau plus fort que l’ovalie !

Stéphane, comme tant d’autres, tombe dans la « marmite » dès sa naissance, ou presque. Né voici 50 ans du côté de Royan d’un père féru de chasse, c’est tout naturellement qu’il s’initie, bambin, aux diverses pratiques cynégétiques. Il n’a pas 7 ans quand le chef de famille l’emmène pour la toute première fois faire l’ouverture de la tourterelle des bois par un matin ensoleillé d’août. Autre époque… Deux ans plus tard, il se met à galoper fièrement dans les traces paternelles à travers les plaines céréalières de l’arrière-pays. Cailles et perdreaux y sont alors légions à l’ouverture pour le plus grand bonheur des chasseurs du cru. Puis l’hiver approchant, l’amateur de chiens d’arrêt, qu’est son aïeul, s’enfonce sous les pinèdes de la presqu’ile d’Arvert en quête de son gibier de prédilection, la belle migratrice au plumage mordoré. Sa progéniture lui colle bien sûr aux bottes. C’est ainsi que l’adolescent découvre cet oiseau mythique qui, depuis 35 ans, n’a de cesse de le fasciner. 

Permis en poche à 16 ans, Stéphane n’a qu’une hâte, fermer ses livres de lycéen en fin de semaine pour chaque dimanche s’adonner à la chasse de son oiseau favori. Il finit même par en oublier sa passion pourtant exacerbée pour le rugby. « J’empruntais les chiens de mon père, des pointers déjà, puis je partais seul traquer la bécasse », se souvient-il. « Des moments inoubliables pour l’adolescent avide de découverte que j’étais. J’étais le plus jeune bécassier de toute la région, et tout juste étions-nous à l’époque une quinzaine à sillonner la presqu’ile. Les choses ont de puis bien changé. On dénombre peut-être aujourd’hui 10 fois plus d’amateurs sur le secteur. Autant dire que la pression de chasse y est plus importante que jamais »

La nuit nous enveloppe de son voile sombre quand, après avoir quitté la route, nous nous engageons sur une piste sablonneuse sillonnant à travers bois. Au bout de celle-ci, nous découvrons une maisonnette typique de la région au charme désuet. Sur le pas de porte, nous sommes chaleureusement accueillis par David, régisseur de la propriété. Autour d’un convivial et roboratif diner, nous apprenons que ce territoire, qui s’étale sur un peu plus de 300 hectares, alterne parcelles de feuillus et de pins à divers stades d’évolution. « Le nom de Losse vient du latin « Laossa » qui signifie « lieu humide » », ajoute notre hôte. « Le territoire est traversé de part et d’autre par un petit cours d’eau nommé Le Bergonce. Exception faite de canicules estivales exceptionnelles, nous avons par conséquent toujours un minimum d’humidité au sol, favorable à la présence de lombrics et de bien d’autres invertébrés recherchés par les bécasses. Le biotope est varié avec une terre sablonneuse sous les pins et végétale sous les chênes, mais les oiseaux affectionnent tous les milieux. Le climat océanique se caractérise par ailleurs par sa douceur, et les fortes gelées sont ici peu probables. Du coup, ce territoire se veut particulièrement propice comme lieu d’hivernage. Les premières belles des bois tombent ici à la mi-novembre et n’en bougent normalement plus jusqu’à l’heure de la remontée. Attention, bien que la pression de chasse soit peu importante, ces bécasses-là connaissent la musique en cette fin de saison. Et il est plus que probable qu’elles donnent demain du fil à retordre à vos chiens ». Sur ces paroles qui aiguisent un tant soit peu notre curiosité, l’heure est venue de regagner nos chambres pour un repos salvateur.

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Le fantôme de février

8h30, le lendemain. Stéphane est fin prêt, tout comme son auxiliaire qui gambade joyeusement autour du véhicule, visiblement pressé d’en découdre. Nous emboîtons le pas d’Olivier, chasseur girondin et fidèle habitué du territoire qui, épaulé de son setter anglais, va nous servir de guide. Sous un soleil radieux de fin d’hiver, nous abordons d’emblée une jeune plantation où la végétation de sous-étage brille malgré tout par son absence. A travers les andins sablonneux, Lift développe sa quête ample, typique des Britanniques. La complicité entre le chien et son conducteur reste néanmoins incontestable, le pointer revenant à intervalles réguliers auprès de son maître. Cette première enceinte est rapidement avalée, sans qu’aucun des deux chiens n’aient capté la moindre émanation. 

Le ruisseau traversé, nous pénétrons un carreau à la nature bien différente. Le milieu est ici plus épais. Au-dessus d’un tapis de fougères, rabattues par l’hiver, s’élèvent les fûts majestueux de pins maritimes âgés de plusieurs dizaines d’années. La quête s’en fait aussitôt plus courte et moins rapide. Renfermé dans sa bulle, Stéphane ne cesse d’observer le comportement de son chien.  Subitement, ce dernier ralentit sa course avant de se figer dans un arrêt de plomb. Toujours aussi concentré, le chasseur se décale légèrement sur la droite, histoire d’effacer de sa vue un tronc pour le moins gênant. Les secondes s’égrènent et, avec elles, la tension monte d’un cran. Babines tremblantes, le pointer entame alors un prudent rapproché coulé. Soudain, 40 mètres en avant, nous entrapercevons la silhouette caractéristique surgir des rhizomes arborescents sans jamais prendre d’altitude, puis se reposer un peu plus loin. En chasseur expérimenté, le spécialiste guide aussitôt son compagnon dans la direction. Le scénario se répète à l’identique une seconde, puis une troisième fois, avant que le gibier ne se soustraie définitivement à la poursuite de ses assaillants. Diable qu’elles sont roublardes ces bécasses du 20 février !

Il en faut toutefois plus pour atteindre la détermination de nos compagnons qui, après avoir rebattu en tous sens l’enceinte, avec le ferme espoir de retrouver cette bécasse fantôme, finissent par se résigner et continuent leur progression. En parfait connaisseur du massif, Olivier nous oriente sur les secteurs les plus propices. L’enceinte suivante se compose de jeunes semis de pins où s’entremêlent à leurs pieds un tapis de ronces. Gare à bien lever les bottes pour éviter la chute ! Lift se fait appliqué, inspectant en chien aguerri toute hypothétique remise. La pugnacité et l’expérience finissent par payer quand, bondissant par-dessus les épines, il stoppe brutalement sa course pour se bloquer dans un arrêt statufié. Attentif, son conducteur n’a rien manqué de la scène, et se positionne aussitôt quelques mètres en arrière. Quelque part sous les aiguilles, nous imaginons la reine des bois, hypnotisée sous la truffe dominatrice du pointer. 

L’attente est cette fois-ci de courte durée. Le battement d’ailes froisse les branches, puis la véloce silhouette rousse virevolte au-dessus des cimes. Prestement le calibre 12 monte à l’épaule, le coup de feu déchire l’atmosphère. Cueilli par la grenaille, l’oiseau s’affale. Aussitôt chargé en gueule, il est déposé délicatement dans la main de son propriétaire. Ce sera là, la seule et unique prise de la matinée. Un peu plus tard, Lift nous gratifiera d’un autre point dans une posture tout aussi majestueuse. Il sera brièvement rejoint à patron par le setter d’Olivier. Jalousie de sujets ne se connaissant pas ? Probablement. Le volatile sera forcé un peu prématurément, et foncera littéralement sur Stéphane. Le superposé restera cassé bien sagement sur l’articulation du coude. Pas question pour celui emprunt d’une éthique irréprochable de faire feu sur une rouquine qui ne serait pas arrêtée dans les règles de l’art…         

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Le chien d’abord

Pour Stéphane Renoux comme pour tant d’autres, la chasse n’a sa seule raison d’être que par la complicité qu’elle procure avec le chien. « Lift a des capacités olfactives hors-pair, certes, mais aussi ce qu’il convient d’appeler l’intelligence du terrain », ajoute-t-il. « Nul besoin de le conduire, il sait de lui-même où rechercher les oiseaux, et comment les manœuvrer. Et croyez-bien qu’il n’a rien à envier à ses cousins britanniques que sont les setters. Le pointer n’est pas le plus apprécié parmi les bécassiers, c’est un fait. D’aucuns lui reprochent de ne pas aller assez la ronce à cause de son poil ras. A mon avis tout est histoire d’éducation. J’ai appris tout petit à mes chiens à me suivre dans le sale, et une fois que le pli est pris et que la passion s’en mêle, il n’y a pas plus de problème ». Autant l’avouer, Stéphane est vacciné pointer anglais. Dès lors qu’il en parle, il n’a de cesse de vanter les mérites de ce buveur d’air. Évoquant tour à tour son aspect alliant force et souplesse, son galop unique en son genre, ou encore cette faculté à se bloquer pleine course dès la prise d’émanation. Oui, en chasseur cueilleur un brin contemplatif qu’il est, il s’autorise de temps à autre un ou deux prélèvements, mais jamais plus qu’il ne faut.

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De la forêt de la Coubre à l’Ecosse

Il faut dire que des bécasses, le Charentais-Maritime en a récolté bon nombre quand il était jeune. Sagacité de l’âge venant, sa quête est devenue tout autre aujourd’hui. « Mon département d’origine, je l’ai parcouru dans tous les sens », explique-t-il. « J’en connais les différents biotopes et toutes les remises par cœur. Il en va de même pour Lift. N’y voyez-là aucune prétention de ma part, mais j’en suis presqu’à penser que le chasse de la bécasse et y est devenue un peu trop facile pour notre duo. Ma vision sur cette chasse, ô combien envoûtante, a complètement changé au fil des ans. Aujourd’hui, même si je continue à pratiquer à raison d’une fois tous les 15 jours sur un petit territoire voisin de mon domicile, je suis avant tout en recherche d’évasion et de difficultés. Je chasse dans les Landes, le Morbihan, les Deux-Sèvres et partout où l’occasion se présente. L’intérêt est de me confronter à de nouveaux biotopes et donc à des comportements différents du gibier. En quelque sorte, retrouver ces sensations uniques où, quand plus jeune et sans expérience, je me laissais piéger par les ruses de l’oiseau. Il en est de même pour mon auxiliaire qui doit alors faire preuve d’une intelligence unique du terrain pour rechercher sa proie dans des remises d’un tout autre genre, et capter des émanations différentes. C’est une remise en question permanente pour le duo homme-chien, et c’est ça qui me fait vibrer »

Fidèle à ce concept, Stéphane s’en est allé traquer SON gibier sur l’île de Butt, au large de l’Ecosse, la saison passée. Une première expérience tant pour lui que pour Lift. Dans ce biotope si particulier où s’alternent landes de bruyère et coupes de chênes blancs, il a pu se mesurer à bon nombre d’oiseaux qui l’ont surpris par leur instinct de défense. Au fil des jours, il a appris à déjouer les roublardises jusqu’alors méconnues de ces bécasses écossaises. Pas suffisamment encore à son sens, puisqu’il a d’ores et déjà prévu d’y retourner lors de la prochaine campagne. Puis, une fois son sujet maîtrisé, il s’envolera probablement vers d’autres destinations, toujours en compagnie de son fidèle pointer avec lequel il ne fait qu’un. Dans ses rêves les plus secrets, il se voit déjà traquer son Graal sur les bordures méditerranéennes de la Grèce, ou encore le long des pentes des massifs orientaux. Souhaitons-lui d’y vivre ces moments intenses chargés d’émotions, ces instants féériques où, narines frémissantes, le chien se fige telle une statue, avant que d’un claquement d’ailes la belle rousse ne prenne son envol.

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